L'Assomption en vert et bleu

Le secteur L’Assomption-Sud s’étend là où s’écoulait jadis le ruisseau de la Grande Prairie, rebaptisé plus tard ruisseau Molson. Aujourd’hui, 60 ans après l’enfouissement du cours d’eau et 15 ans après la fin des activités de la Canadian Steel Foundries, que reste-t-il de nature dans ce secteur?

photo: Julien Bourbeau

Lorsqu’on accède à la zone industrielle au sud de la rue Hochelaga, on pénètre dans un paysage typique des grandes friches urbaines : des parcelles boisées plus ou moins denses côtoient des prairies à moitié nues, au sol compact et contaminé. Ce territoire perturbé, marqué par sa vocation industrielle, peut sembler morne et sans intérêt écologique. Pourtant, en y regardant d’un peu plus près, on y découvre des écosystèmes à la vivacité étonnante.

Des friches bien vivantes

Les résidents des quartiers limitrophes connaissent bien « leurs friches », surtout les amants de la nature qui fréquentent les lieux et qui documentent leurs observations floristiques et fauniques. Ces habitués découpent les friches de l’Assomption Sud en quatre zones distinctes. Les noms qu’ils leur attribuent varient d’une personne à l’autre, mais les plus courants sont : le boisé Steinberg, les friches de l’ancienne CSF, le boisé Vimont et le boisé Grace Dart.

carte du secteur
1. Boisé Steinberg : Cette friche arbustive éparse s’étend sur près de 9 hectares entre la rue Hochelaga au nord, le Bingo à l’est, le chemin de fer au sud, et l'entreprise Solotech à l’ouest. La nature y reprend ses droits depuis 1995, année de la destruction de l’entrepôt de la compagnie Steinberg. On y retrouve plusieurs espèces végétales pionnières. Parmi les arbres les plus fréquents, notons le peuplier, le bouleau, le robinier faux-acacia, le frêne et l’érable à Giguère.

2. Friches de l’ancienne CSF : Sur les grands terrains de l’ancienne Canadian Steel Foundries, trois « boisés » de densité variable côtoient une prairie parsemée d’arbustes et d’herbacées. Les sols ont été fortement perturbés sur une longue période; néanmoins, l’âge de certains arbres laisse croire que la partie nord de la friche est épargnée depuis 30 ou 40 ans, selon les estimations des naturalistes amateurs rencontrés. Dans la portion sud du terrain de l’ancienne CSF, on peut observer l’un des rares lieux où le ruisseau Molson affleure. Bien qu’il ait été travaillé mécaniquement, le bassin bordé de roseaux communs, de quenouilles et d’onoclées sensibles (une fougère des milieux humides) offre un paysage distinct, qui nous laisse imaginer l’allure des lieux si le ruisseau était exhumé. Enfin, tout près de la rue Notre-Dame, on peut observer des ormes d’Amérique, dont un spécimen impressionnant par sa taille et son âge en bordure de la piste cyclable. En ce qui a trait à la faune aviaire, on note la présence remarquable du hibou des marais, un rapace qui figure sur la liste québécoise des espèces « susceptibles d’être menacées ou vulnérables ». Enfin, parmi les mammifères observés, notons la présence du renard roux.

3. Boisé Vimont : Cette friche arbustive d’environ 1,6 hectare est encadrée par le quartier Viauville à l’ouest, le parc Saint-Clément au nord, le chemin de fer à l’est, et le site de soins prolongés Grace Dart au sud. Le peu d’observations colligées jusqu’à présent témoigne de la présence d’au moins 22 espèces d’oiseaux dans ce seul boisé, dont le dindon sauvage et le faucon émerillon.

4. Boisé Grace Dart : D’une superficie de 0,7 hectare, le boisé Grace Dart se trouve entre le site de soin du même nom et la rue Notre-Dame Est. C’est possiblement la zone boisée la plus mature des environs, aux dires de certains naturalistes amateurs. On y retrouve aussi les traces d’un passé agricole, sous la forme d’un ancien fossé de ferme.

Que valent ces friches?

Pollution, présence d’espèces exotiques envahissantes, absence d’espèces rares, essences non nobles… Force est d’admettre que, suivant les critères habituels d’évaluation de la valeur écologique des milieux, les friches de l’Assomption partent avec un certain handicap. En revanche, on constate que les portions de friche laissées à elles-mêmes suffisamment longtemps ont donné forme à des milieux boisés fréquentés par les oiseaux, les mammifères… et les humains! Ces lieux ont un pouvoir d’attraction sur les résidents qui, autrement, ont difficilement accès à la nature.

En outre, il est intéressant de noter que les bosquets de l’Assomption Sud forment un chapelet « d’îles vertes dans une mer d’asphalte ». Deux friches boisées dans le secteur l’Assomption Nord – le boisé du métro L’Assomption et le boisé voisin des Résidences Lux – prolongent ce corridor jusqu’aux parcs Bois-des-Pères et Francesca-Cabrini. À propos de connectivité écologique, mentionnons ici les travaux d’Andrew Gonzalez, professeur à l’Université McGill et directeur du Centre de la Science de la Biodiversité du Québec (CSBQ). Ses collègues et lui ont généré une carte des milieux les plus intéressants de la grande région métropolitaine suivant trois critères : la connectivité, la qualité de l’habitat et l’adaptabilité climatique. Un œil attentif remarquera que les friches de l’Assomption Sud apparaissent parmi ces milieux d’intérêt. Plus encore : elles ont, en regard des critères mentionnés, une valeur tout à fait comparable à celle du Parc Maisonneuve! (Rayfield et al., 2015)


Carte tirée de : RAYFIELD, Bronwyn et al. (2015). Les Infrastructures vertes : Un outil d’adaptation aux changements climatiques pour le Grand Montréal, Rapport publié par la Fondation David Suzuki, Novembre 2015.

Rêver en vert et bleu

À la lumière de ces informations, quel avenir peut-on imaginer pour les friches de l’Assomption Sud? Une expérience menée à Montréal sur un autre tronçon du ruisseau Molson mérite une attention particulière : celle du parc Boisé-Jean-Milot, situé aux limites nord-est de l’arrondissement Mercier—Hochelaga-Maisonneuve. Avant qu’un comité de citoyens ne décide, en 1996, de prendre ce site sous son aile, on n’y retrouvait qu’un ancien dépotoir laissé en friche. Un point d’affleurement du ruisseau – le marais Molson – y a été restauré et mis en valeur, des essences sélectionnées ont été plantées, des activités d’éradication des espèces envahissantes y ont été menées, et des sentiers y ont été aménagés. Résultat? Après plus de 20 ans de bons soins, on retrouve aujourd’hui au parc Boisé-Jean-Milot 193 espèces végétales et plus de 40 espèces d’oiseaux. Et ce parc bien vivant est de plus en plus fréquenté et apprécié des résidents.

Toujours au chapitre des scénarios hypothétiques : exhumer le ruisseau Molson, un rêve porté par plusieurs citoyens des quartiers voisins, viendrait sans contredit enrichir la biodiversité des lieux. De plus, cela permettrait de raviver un pan important du patrimoine historique du quartier et de contribuer à la lutte contre les îlots de chaleur.

Et si les friches, ces mal-aimées, étaient un terreau fertile pour nos initiatives de préservation de la biodiversité et du patrimoine? Et si ces projets trouvaient leur place dans les plans de développement du secteur l’Assomption Sud?